La philosophie rire Par Jacques Deperne

¡Ay! Pero (en) la risa, sin duda. Este es el hombre!
La risa, pero también una sonrisa, que es conforme a Alain perfección de la risa. Chamfort consideró que "el día más desperdiciado es cuando uno no ha reído." Un dicho de la antigua India afirma que "un joven que no ha llorado es un salvaje y un anciano que no se ríe un tonto."
(texto en francés)


http://www.cles.com/enquetes/article/la-philosophie-rire


Plutarque raconte que les philosophes grecs qui accompagnaient Alexandre le Grand se confrontaient à des gymnosophistes indiens en leur posant quelques questions , dont celle-ci “Qui apparut le premier, le jour ou la nuit ?” La réponse d'un yogi : “Le jour, mais il n‘a précédé la nuit que d'un jour”, preuve que depuis la plus Haute Antiquité humour et sagesse coexistent pour la plus grande gloire du bon sens.

La station debout ? Peut-être ! Une certaine souplesse des doigts de la main dans l'exercice de la préhension ?
Probablement ! La pensée ? Vraisemblablement ! La parole ? Hélas ! Mais le rire, sûrement. Voilà l'homme !

Le rire, mais aussi le sourire, qui est selon Alain la perfection du rire. Chamfort estimait que “la plus perdue des journées est celle où l'on n'a pas ri”. Un adage de l'Inde ancienne affirme qu'“un jeune homme qui n'a pas pleuré est un sauvage et un vieillard qui ne rit pas un insensé”.

Le rire est un art de vivre et l'humour un art d'exister. Plus encore qu'un art d'exister, il est parfois considéré comme “une vertu spirituelle2”. “Spirituel”, le double sens du mot n'est peut-être pas le fruit du hasard. Le rire ouvre une brèche dans les barrières cérébrales, il écarte les nuages sombres des pensées moroses et dévoile en un instant une éclatante lumière, un peu comme lorsqu'en avion on découvre le ciel bleu au-dessus d'un ciel gris. Dans la langue des Bambaras d'Afrique, le mot yélé signifie à la fois “rire” et “ouvrir”...


L'esprit heureux
Le Dalaï-Lama est très sollicité pour prendre la parole, ce qu'il fait volontiers, très simplement, en ponctuant ses propos toujours très clairs par de larges sourires. Devant la Fédération française du bouddhisme tibétain, il termine son exposé (en 1993) par cette phrase :
“Dernier point : il faut avoir l'esprit heureux et savoir rire.”

Les Tibétains en général, le Dalaï-Lama en particulier, sont peut-être les hommes les plus souriants de cette planète. L'illumination, au sens bouddhique d'éveil, est paraît-il fréquemment accompagnée d'un rire d'une essence particulière que R. H. Blyth définit comme “... le rire de l'approbation étonnée”. Le sage n'est-il pas selon André Gide “celui qui s'étonne de tout” ?

Au cours d'une interview, un journaliste a posé au chorégraphe Maurice Béjart la sacro-sainte question des causes de la crise du monde moderne et des solutions qui pourraient être préconisées. Béjart a fait la merveilleuse réponse suivante : “Je ne suis pas capable de donner un message, de trouver une solution. Mais je pense que le rire est bon, le rire est très important, le rire nous fait respirer... Il y a un rire qui est un rire de l'enfance, qui est le rire de la joie, le rire de la santé, le rire du bonheur..”. Ce rire, n'est-ce pas celui de la sagesse, celui que nous pourrions appeler le rire du philosophe ?

Pour Bergson, “le rire est un état de rupture dans une logique donnée”. Plus encore qu'une rupture, c'est à mon sens, une distance, une distance libératrice qui naît de l'étonnement. L'étonnement, avec le doute, ne sont-ils pas à l'origine de la philosophie ? Pour Jean d'Ormesson, qui sait de quoi il parle, “... le même ressort fait fonctionner l'interrogation philosophique et l'accès de gaieté”. Pour cet académicien humoriste, le rire est de la philosophie avortée.

Le rire du sage
Le rire est un signe de sagesse tellement évident que pour accéder à cette vertu suprême, Confucius recommande de s'esclaffer douze fois par jour. D'ailleurs, les huit immortels de la tradition chinoise taoïste sont représentés en permanente hilarité. Cette hilarité est une preuve de leur état de libération.

La meilleure preuve de cette liberté du sage, conséquence du chemin accompli, transparaît dans son regard sur le monde, dans ses sourires, son rire et son humour. Ce sont les signes extérieurs d'une évidente richesse intérieure.
Les sages ont en commun la même joie de vivre, ponctuée de larges sourires et de grands éclats de rire. Leurs visages sont lumineux, resplendissants d'un bonheur d'être non-dépendant. J'ai connu des lamas qui chahutaient et riaient comme des enfants, et des maîtres du bouddhisme zen qui se livraient aux pitreries les plus invraisemblables. Je n'oublierai jamais le répertoire de grimaces de Taïsen Deshimaru ... qui faisait partie intégrante de l'éducation que nous recevions. Il n'enseignait pas, il éduquait et tenait beaucoup à cette nuance. L'humour, le rire, et parfois un simple sourire, permettent de casser les stéréotypes, les censures et les inhibitions de nos cerveaux programmés au point que nos pensées deviennent souvent des citations. Les pensées : étranges phénomènes chimiques de l'activité neuronale d'une matière “grise”... C'est tout dire !

Vanité des vanités
Dans son livre Le nom de la rose, Umberto Eco fonde toute l'histoire de son roman, sur une interrogation très troublante qui a perturbé beaucoup de théologiens : “Le Christ a-t-il jamais ri ?” Au-delà de cette question se pose le problème, de l'humour en général et du rire dans la tradition chrétienne. Pourquoi le christianisme, la religion de “la joie qui demeure” et des félicités éternelles, a-t-il été longtemps si sévère à l'égard du rire, considéré comme un abandon, vulgaire et obscène ? Serait-ce l'influence d'Aristote qui voyait dans le rire “une grimace de la laideur, un ennemi de la bienséance”? Le verdict divin de la Genèse, la sanction de Yahvé, terrible à beaucoup d'égards, n'a jamais empêché l'homme de rire !

Et pourtant, le clergé recommandait à certaines époques de ne pas rire pendant les périodes de pénitence, le carême par exemple. Saint Louis ne riait pas le vendredi. Certes, Jésus ne rit pas dans les Évangiles, mais cela ne signifie pas qu'il n'ait jamais ri. Je n'imagine pas un seul instant un Jésus compassé et sérieux... comme un pape. Il était, à n'en point douter, tout amour et tout humour. À moins que pour ceux dont la foi est fondée sur la peur, l'humour, en tuant la peur, les entraîne à tuer leur foi... Ceux dont la foi est fondée sur l'amour du prochain, comme beaucoup de prêtres et de moines que j'ai rencontrés, ont bien compris que plus ils riaient, plus ils se rapprochaient de Dieu. Un saint triste sera toujours un triste saint.

“L'humour est un des attributs de Dieu” écrivait Chesterton, ce dont Cocteau , le poète qui sauve le feu dans les incendies, n'a jamais douté. Quelqu'un lui demandait un jour : “Que direz vous à Dieu quand vous le rencontrerez ?” Réponse du maître : “Je lui dirai : Permettez-moi de vous saluer, Seigneur, il y a bien longtemps que je ne vous ai jamais vu”. Les éveilleurs de toutes les traditions, d'Orient et d'Occident, enseignent par des anecdotes, des paradoxes, des paraboles, des histoires souvent très drôles, qui enrichissent plus efficacement que beaucoup de discours prétendument philosophiques.

Le reproche que l'on pourrait faire à la philosophie occidentale, c'est d'être parfois trop guindée, raidie par la logique aristotélicienne de non-contradiction et la crainte des paradoxes qui sont pourtant “une forme supérieure de pensée”, selon le physicien Jean Charon. Un bon professeur de philosophie devrait toujours être drôle. Hélas, beaucoup de nos philosophes fonctionnaires, qui répètent des citations et chérissent des opinions, sont souvent tourmentés, rarement joyeux et, par voie de conséquence, loin d'être sages.

Quelques connaissances conceptuelles ne justifient pas que l'on se prenne au sérieux. La réussite de quoi que ce soit d'intellectuel le justifie encore moins. Il est bien rare que nous n'ayons pas quelqu'un à remercier. Alors, évitons de nous gonfler d'orgueil comme l'âne porteur de reliques de Jean de La Fontaine, parce que nous sommes dépositaires de ce que l'on a bien voulu nous donner.

À la poursuite du vent
Sous la dynastie des Tang, un Premier ministre est l'élève d'un maître du bouddhisme Ch'an, une forme du bouddhisme plus connue des Occidentaux sous le nom japonais de “Zen”.
“Maître, demande un jour l'illustre disciple sur un ton péremptoire, dites-moi comment le bouddhisme explique la vanité ?”

Alors le maître, sur un ton particulièrement méprisant :
“Que me demandes-tu là, pauvre crétin ?”

Blessé, le Premier ministre a le visage qui s'empourpre. “Votre Excellence, lui dit le maître, c'est cela la vanité !”

Le mot “vanité” est de moins en moins employé dans le langage courant. On ne dit plus souvent d'un homme qu'il a “de la vanité”, mais plutôt qu'il a “beaucoup d'ego”. Le mot latin ego est à la mode depuis quelques années. “Ego ! Ego !” est même devenu le titre d'une chanson.

Qu'est-ce que l'ego ? Tous les hommes naissent ego. En faits, nous ne possédons pas un ego, nous sommes possédés par l'idée d'en avoir un... Contrairement à certaines idées reçues dans certains cercles “zennifiants”, il ne s'agit pas tant de l'abandonner que d'en devenir spectateur. Le sage ne se prend pas pour sa photo. Cette simple “vertu” est peut-être le premier signe de liberté de celui qui a fait un petit bout de chemin, sur les sentiers semés d'embûches et d'obstacles qui conduisent à l'éveil.

Dans la légende du Graal, la fille du roi est belle, comme le sont toutes les princesses des contes initiatiques, mais elle ne rit jamais. À qui son père, un sage parmi les sages, donnera-t-il la main de son enfant ? À un sage bien sûr ! Et qui sera l'heureux élu ? L'heureux homme qui saura la dérider ! L'excès de zèle, l'excès d'enthousiasme, l'exaltation parfois, précipitent immanquablement dans les pièges de la vanité, les apprentis-disciples engagés dans une voie de réalisation spirituelle.

Su Tung-p'o, poète célèbre et fervent bouddhiste, vivait à l'époque de la dynastie des Song.

Il avait pour ami intime FoYing, brillant professeur de Ch'an. Le temple de Fo Ying se trouvait sur la rive orientale du fleuve Yang-Tsê, tandis que la maison du poète était située sur la rive opposée. Un jour, Su Tung- p'o rendit visite à Fo Ying. Ne le trouvant pas chez lui, il l'attendit dans son cabinet de travail. Pour tuer le temps, comme le font les poètes, il se mit à griffonner sur un morceau de papier de riz qu'il trouva, et les premiers mots qu'il écrivit furent ceux-ci : “Su Tung- p'o, le grand bouddhiste que rien n'ébranle, même pas les forces combinées des Huit Vents terrestres”. Mais bientôt, Su Tung-p'o, fatigué d'attendre rentra chez lui. À son retour, Fo Ying trouva le griffonnage de son ami. Au bas de la page, il ajouta : “Sornettes que tes propos ! Ils ne valent pas plus qu'un pet !” Et il fit parvenir le billet à Su Tung-p'o. Lorsque celui-ci lut le commentaire outrageant, il se mit dans une telle colère qu'il prit son bateau, traversa le fleuve et se rendit chez Fo Ying. À peine arrivé sur l'embarcadère il vociféra :
“De quel droit te sers-tu d'un tel langage à mon égard ? Ne suis-je pas un bouddhiste fervent, dévoué au Dharma ? Es-tu devenu aveugle ?”

Alors Fo Ying, le sourire au lèvres, lui dit calmement : “Su Tung-p‘o, le grand bouddhiste, prétend que les forces combinées des Huit Vents terrestres peuvent à peine le faire reculer de quelques centimètres, et un simple pet suffit pour l'entraîner de l'autre côté du fleuve Yang-Tsê !”

Le sourire du temps
Avant d'aborder les grands principes, il faut savoir rire de soi et connaître sa propre insignifiance. Tout ce qui a été créé subit la loi inexorable de l'impermanence. La notion d'impermanence au centre de la doctrine bouddhique est souvent illustrée parmi les thèmes classiques de calligraphie.

“À quoi pouvons-nous comparer notre vie ? Au reflet de la lune dans la goutte de rosée
qui tombe du bec de l'oiseau.”

“Même si tu aimes les fleurs elles meurent, même si tu n'aimes pas la mauvaise herbe
elle pousse."

Seconde après seconde, le temps passe ou, plus exactement, nous passons devant lui.

Et que devient “le temps qui passe” ? Il se fond dans l'éternité... et “c'est long l'éternité,
surtout vers la fin.”

La formule est tellement drôle qu'elle est passée dans le domaine public. Dans un ouvrage récent, un académicien, Jean d'Ormesson, se l'est appropriée sans citer l'auteur, le cinéaste-humoriste Woody Allen. Dans ce domaine des grandes interrogations philosophiques, Woody Allen offre en effet à qui sait en sourire des pensées d'une haute portée métaphysique. Exemples : “Je ne crains pas la mort , mais je préférerais ne pas être là quand elle arrivera.”

“Seul Dieu peut créer un arbre, sinon comment l'écorce tiendrait-elle dessus ?”

“Il ne fait aucun doute qu'il existe un monde invisible. Cependant, il est permis de se demander à quelle distance il se situe du centre ville, et à quelle heure il ferme.”
Et, pour finir, le célèbre adage : “La vie est une maladie sexuellement transmissible.”

Le rire et la mort

On imagine mal un sage qui craigne la mort. Il la craint d'autant moins que, pour lui, le contraire de la mort ce n'est pas la vie, mais la naissance.

Durant une guerre civile, au Japon, l'armée rebelle envahit une ville loyaliste. Tous les habitants s'étaient enfuis ainsi que tous les moines du temple zen de la cité. Tous sauf le maître, un vieil homme, un roshi, comme on nomme les anciens. Le général de l'armée victorieuse qui se rendit au monastère fut très contrarié de l'accueil glacial du vieux maître et du peu de considération que celui-ci lui témoignait.

“Savez-vous, lui dit-il, que vous avez en face de vous un homme capable de vous pourfendre d'un coup de sabre sans même cligner des yeux ?

Et vous, répondit le maître, savez-vous que vous avez en face de vous un homme prêt à être pourfendu sans même cligner des yeux ?” Le général resta un moment silencieux, puis s'inclina et se retira.

L'homme relié par le rire est éveillé, au sens que les Orientaux donnent à ce mot, et cet éveil est libérateur. Notamment, il est libéré de l'angoisse de la mort. Quand on demandait à Ramana Maharshi, un sage de la région de Madras qui a quitté son corps en 1950, où il irait après. la vie, il répondait : “Où voulez-vous que j'aille ?” Il était depuis son enfance jivan mukta c'est à dire “libéré vivant”, en quelque sorte il était déjà mort. Maharshi était un sourire permanent. Son sourire et ses silences ont imprégné à vie ceux qui l'ont approché. Beaucoup d'Occidentaux sont devenus ses disciples. “Mes disciples, disait-il, sont de différentes sortes. Certains sont comme de la poudre à canon ; ils explosent littéralement en présence de la flamme de la Vérité. D'autres sont comme de la paille, d'autres comme du bois vert et d'autres comme de la terre humide.”

Un homme “un peu éveillé" sait bien que le drame de la vie c'est qu'on n'en sort pas vivant.

Et plus il s'éveille, plus le drame devient relatif. Puisqu'à long terme nous sommes tous morts, quelles que soient nos convictions sur l'au-delà, autant abandonner avec le sourire ce corps lourd, pesant, terreux et visible avant d'aller faire pousser les roses ou, comme l'énonçait un jour l'abbé Pierre, “avant la rencontre avec l'éternel amour, dans le toujours de l'au-delà du temps.”

Je doute que certains soient morts en éclatant de rire, mais les exemples ne manquent pas d'hommes et de femmes qui ont, semble-t-il, renoncé à leur sac de peau après un trait d'humour que nous appellerons en l'occurrence, si vous le voulez bien, un trait d'union. Avant de rendre un dernier soupir, Ninon de Lenclos murmura : “Ce qui me console, c'est de penser que je ne laisse que des mourants” ; madame de Pompadour aurait lancé au prêtre qui quittait sa chambre : “Attendez! Nous partirons ensemble...” ; et Barbey d'Aurevilly aurait marmonné en hochant doucement la tête : “C'était donc cela cette planète !...” Démocrite, “le plus subtil de tous les Anciens”, que ses contemporains décrivaient “secoué d'un rire perpétuel”, décida lui-même de sa mort, à plus de cent ans, en cessant de s'alimenter. Simplement, il demanda à être conservé dans du miel. Il adorait le miel.
Plus près de nous, dans un même registre, Pierre Desproges, qui se savait condamné,
rédigea un testament humoristique en léguant “ses abats à la science”, et en suggérant que les os qui resteraient soient mis dans un sac de plastique bleu. Cela lui rappellerait “ses vacances à Corfou”...

Puisque pleurer sur l'impermanence des choses n'a jamais rendu personne immortel, le plus simple et le plus sage est de ne pas trop y penser, ou d'y penser avec le sourire, et de vivre pleinement jusqu'aux derniers instants.

Quand la rate se dilate

“Le rire fait tomber les masques, il appartient, nous dit Jacqueline Kelen, à la générosité de l'être.” Il y a bien longtemps que les psychologues ont compris qu'ils pouvaient utiliser le rire en psychothérapie dans le but de briser les résistances.

Bien entendu, le rire n'a de signification et d'efficacité thérapeutique que s'il est spontané. Le protoxyde d'azote ou gaz hilarant, bien connu des arracheurs de dents des places de marché de nos arrière-grands-parents, n'a qu'un effet anesthésique très relatif et très provisoire. Quant à l'excitation de zones gélogènes (du verbe gelan : “rire” en grec ancien), en français courant : les chatouilles, elles peuvent devenir un véritable supplice. Presque tout le monde se souvient de la célèbre scène de la chèvre qui lèche la plante des pieds du personnage incarné par Fernandel dans le film François 1er.

Le rire provoque des sécrétions de catécholamine, une hormone cérébrale qui jouerait un
rôle dans la capacité de création et favoriserait les montées d'endorphine, une espèce de morphine interne qui déclencherait, sous une forme d'euphorie, un état qui permettrait de lutter contre la douleur.

Un bon médecin doit avoir de l'humour. Évitez comme la peste les médecins tristes. Comment voulez-vous qu'un médecin triste puisse juger objectivement de votre bonne humeur ? Or, dans la médecine hippocratique, la bonne humeur est un signe de bonne santé. Pour Hippocrate, la santé et le caractère dépendaient étroitement de la combinaison des humeurs qui circulent dans le corps. Ces humeurs étaient : le sang, correspondant au type sanguin ; la bile noire, correspondant au type mélancolique ; la bile jaune, correspondant au type colérique ; et le flegme, correspondant au type apathique. Ainsi, celui qui est de bonne humeur est en bonne santé, celui qui rit est de bonne humeur, et donc celui qui rit est en bonne santé.
Ce qu'il fallait démontrer.

Au XVIIe siècle, on pensait que la rate accumulait de la bile noire ou humeur noire. Pour lutter contre cette mauvaise humeur, assimilée à la “mélancolie”, les médecins désengorgeaient l'organe encombré, en quelque sorte ils désobstruaient la rate. Le mot “désopilant” vient d'ailleurs du latin oppilare qui signifie : “obstruer”. Rire c'est, selon l'expression populaire, “se dilater la rate”, ouvrir l'organisme aux échanges, au sens matériel comme au sens spirituel. Par voie de conséquence, le rire rajeunit le mental comme le physique ; il constitue à bon marché la meilleure, la plus efficace des cures de jouvence.

Les chamans indiens d'Amérique provoquaient des crises d'hilarité pour chasser les mauvais esprits. Quant aux Japonais, ils sont tellement convaincus que “le bonheur arrive à ceux qui rient”, ainsi que l'affirme un proverbe traditionnel, qu'ils ont crée des écoles de rire. À quand les cures de rire remboursées, pour fortifier le diaphragme et lutter contre l'anémie ?

Pour Taïsen Deshimaru, le rire déclenchait un mouvement favorable du diaphragme dans le sens d'une série d'expirations, en positionnant le centre de gravité du corps dans le hara, la zone située sous l'ombilic. Au contraire, les pleurs multiplient les inspirations saccadées génératrices de tensions dans tout le corps, et notamment dans les épaules et dans la nuque. Dans la pratique du zen, la pratique de la méditation assise zazen, la respiration juste est abdominale, comme dans toutes les formes de méditation, au détail près de l'importance majeure accordée à l'expiration, lente, profonde, concentrée sous le nombril. Lors d'un de ses voyages au Japon, Taïsen Deshimaru a envoyé une carte postale à ses disciples français. Sous un petit dessin stylisé de la posture zazen il avait écrit : “Concentrez-vous sous le nombril !” En post-scriptum, pensant probablement à certains de ses séides dont je tairai les noms, il avait ajouté : “Pas trop bas sous le nombril” ! Un chancelier d'Angleterre, très pieux, et au demeurant très sage, un certain Thomas More, demandait au Seigneur, dans sa prière, de lui donner l'humour, afin de tirer “quelque bonheur de cette vie pour en faire profiter les autres”. Devant une photo d'Albert Einstein tirant la langue à la postérité, je demandai un jour à un moine zen comment il comprenait la relativité. Son explication ne fut pas celle d'un expert en physique, mais celle d'un expert en relativité. Elle se résumait ainsi : “Pour son amant, une belle femme est un délice ; pour un ascète, une distraction ; pour un loup, un bon repas.”

En conclusion, il faut bien admettre que les hommes qui ne rient jamais, ne sont pas des hommes sérieux. Bienheureux ceux qui savent rire de tout et surtout d'eux-mêmes. Ils n'ont pas fini de s'amuser...

Dans les Leçons particulières, la toujours sémillante et toujours séduisante Françoise Giroud, qui donne une leçon de sourire à chaque instant, en plissant les yeux, écrit à propos de la liberté : ...la liberté, la vraie liberté, cet espace de liberté intérieure qui conduit à se regarder vivre et à rire doucement de soi.” Cette liberté, n'est-elle pas celle du philosophe accompli ? Finalement, philosopher, c'est apprendre à rire... Alors, sur les chemins de la sagesse, que la joie soit dans les cœurs !

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