L'Homme et la Mer de Charles Baudelaire
L'Homme et la Mer de Baudelaire
Auteur : Baudelaire
Oeuvre dont est tiré le titre : Les Fleurs du mal
Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, O frères implacables!
de Charles BAUDELAIRE recueil : Les fleurs du mal
El hombre y el mar
-Charles Baudelaire-
¡Hombre libre, siempre adorarás el mar!
El mar es tu espejo; contemplas tu alma
En el desarrollo infinito de su oleaje,
Y tu espíritu no es un abismo menos amargo.
Te complaces hundiéndote en el seno de tu imagen;
La abarcas con ojos y brazos, y tu corazón
Se distrae algunas veces de su propio rumor
Al ruido de esta queja indomable y salvaje.
Ambos sois tenebrosos y discretos:
Hombre, nadie ha sondeado el fondo de tus abismos,
¡Oh, mar, nadie conoce tus tesoros íntimos,
Tan celosos sois de guardar vuestros secretos!
Y empero, he aquí los siglos innúmeros
En que os combatís sin piedad ni remordimiento,
Tanto amáis la carnicería y la muerte,
¡Oh, luchadores eternos, oh, hermanos implacables!
***
Auteur : Baudelaire
Titre : L'Homme et la Mer
Époque : 19 ièmeOeuvre dont est tiré le titre : Les Fleurs du mal
Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, O frères implacables!
de Charles BAUDELAIRE recueil : Les fleurs du mal
El hombre y el mar
-Charles Baudelaire-
¡Hombre libre, siempre adorarás el mar!
El mar es tu espejo; contemplas tu alma
En el desarrollo infinito de su oleaje,
Y tu espíritu no es un abismo menos amargo.
Te complaces hundiéndote en el seno de tu imagen;
La abarcas con ojos y brazos, y tu corazón
Se distrae algunas veces de su propio rumor
Al ruido de esta queja indomable y salvaje.
Ambos sois tenebrosos y discretos:
Hombre, nadie ha sondeado el fondo de tus abismos,
¡Oh, mar, nadie conoce tus tesoros íntimos,
Tan celosos sois de guardar vuestros secretos!
Y empero, he aquí los siglos innúmeros
En que os combatís sin piedad ni remordimiento,
Tanto amáis la carnicería y la muerte,
¡Oh, luchadores eternos, oh, hermanos implacables!
***
Analyse:
Charles baudelaire est en rupture thématique avec l'oeuvre précédente car adepte et membre du mouvement parnassien. C'est un poète maudit, notamment par la société bourgeoise du 19è siècle tant sur le vivant que sur l'écrit. Il vit avec souffrance sa double situation ciel et terre. IL l'exprime cependant avec une crudité et une sensibilité inouïe en privilégiant le cadre du sonnet et en donnant à ses méraphores qu'il veut « mathématiquement exactes » une dimension symbolique. Son oeuvre est difficilement classable : touche de symbolisme, mouvement parnassien, influence du romantisme par sa sensibilité et classique par le souci de la forme. Baudelaire est en fait le premier poète moderne car il a sû rompre avec la thématique traditionelle (=idéalisation de l'amour, de la nature... etc). L'intérêt de ce texte est qu'il illustre de manière explicite une correspondance paradoxale. « L’homme et la mer », pièce 14 des fleurs du mal se trouve dans la partie du recueil intitulée spleen et idéal (spleen = dépression, ennui, mélancolie). L'unique recueil de vers publié par Baudelaire. Au travers de plusieurs poèmes devenus célèbres ('L'invitation au voyage', 'Les chats', 'L'horloge'... ) , l'auteur définit le rôle du poète, celui de rendre compte des analogies entre les différents sens mais aussi entre l'univers sensuel et l'univers spirituel. Une esthétique dans laquelle « les parfums, les couleurs et les sons se répondent » .Ses vers respectent les règlent de l'accentuation et utilise des figures de style dont le goût pour la provocation est indéniable. Puisque la vie n'est qu'extase et horreur, partage inégal entre Dieu et Satan, le poète la transfigure dans une contrée imaginaire où le desepoir et la beauté se confondent. Il s'évade dans les paradis artificiels du haschisch, de l'opium et du vin, ceux de la luxure et du vice. L'ennui, la mort et la pourriture le hantent, jusqu'à la folie.
Ce poème exprime comme d’autres poèmes (l’Albatros, la Musique) la fascination de l’auteur pour la mer qu’il croit à notre image. Pour nous le faire sentir il a organisé le poème selon une structure en miroir où l’homme regarde son double comme un frère à la fois jumeau et ennemi.
I. Deux entités identiques.
Mise en place du système de correspondance.
Etude de l'énonciation : évocation pronom, « tu » puis « vous » devenant ensemble fusionnel. Aussi par les apostrophes « homme libre! » et par le jeu de parallelisme incessant entre les deux entités protagonistes « l'Homme » et la « Mer ».
Un terme pouvant être lu dans les deux sens : « rumeur » ainsi que la figure d'hypallage.
Utilisation de comparatifs : « vous êtes tous les deux ».
Des goûts communs.
Champs lexical de la liberté abondant.
Utilisation récurrente de verbes marquant la préférence.
Un amour narcissique : ils contemplent leur image. La symétrie dans les vers : La mer est / ton miroir (mer) ; tu contemp / les ton âme (homme)
goût du néant commun : « gouffre », « plongé », « infini » : donne une impression d'un abyme, de l'enfer.
Champ lexical de l’amour très présent dans les 2 premières strophes.
Une profondeur spirituelle
Aspect invisible de la spiritualité : « ténébreux », « intime », « secret », « discret ».
Jeu sur le parallelisme : « nul ne sondé/nul ne connaît » ; on note l'existence d'une face cachée pour chacun d'entres-eux.
Une personnification de la mer au même plan que l'homme.
Ils se rejoignent dans la continuité et dans la rupture.
Tout le poème s’organise autour de cette symétrie et les jeux de reflets sont perceptible dans les rîmes : âme + mer = amer (mer saumâtre ou amertume humaine).
II. Une destruction passionelle.
Le paradoxe relationel.
Dans la structure qui joue entre l'Amour et le Conflit. La mer est masculine et féminine. On plonge en son sein comme une femme mais on la combat comme un homme.
Jeu sur un paradoxe : ils s'aiment et se détruisent.
Derniers vers : hémistiches + antithése + hypallage. Le chiasme du dernier vers (Lutteurs éternels, frères implacables) alors qu’on attend frères éternels, lutteurs implacables. Cela souligne une nouvelle fois une lutte intérieure.
Le titre porte plusieurs sens : l’Homme et/est/hait la mer. La mer et l’homme sont à la fois reliés et séparés par ‘et’.
Rîmes embrassées. Tantôt l’homme embrasse la mer, tantôt la mer embrasse l’homme.(Cf. rîmes féminines masculines (avec ou sans –e muet)).
Le thème de la mort.
Champs lexical de la mort + Champ lexical du combat et de la souffrance très présent dans les 2 dernières strophes.
Le caractère insensible du couple, sans pitié ni remords, il n'y a aucun états d'âme.
Un amour pour la destruction : « carnage » « tellement ». L’homme et la mer partagent des sentiments humains. Ils se rapprochent pour l’amour ou pour la lutte (lame = vague ou couteau).
(Rumeur, abîmes = homme / plainte, richesses intimes = mer sont inversés).
Le goût pour le néant. Les ressemblances : l’homme comme la mer est libre, indomptable, sauvage ; ils partagent les mêmes abîmes, les mêmes secrets, les mêmes richesses intimes, la même jalousie. Enfin ils ont le même goût pour le carnage et la mort. Le temps et l’espace sont infinis (siècles innombrables, éternels, abîmes) et renvoient donc à un espace intérieur abstrait.
La lutte éternelle est un fratricide qui oppose l’homme à lui même dans un présent éternel qui évoque la vérité de l’humanité.
Un caractère autodestructeur.
Projection de l'homme vers la mer : au fur et à mesure, l'homme s'apparent et devient la mer.
L'association entre les deux thèmes Amour/Haine.
Jeu avec l'antithése se distrait/Rumeur (cf : duellum).
Conclusion : Ainsi les doubles se confondent. On entrevoit les aspirations contradictoires de l’homme ainsi que la lutte entre le spleen et l’idéal.L’immensité du temps et de l’espace renvoient à un temps infini et à un espace intérieur, mental et poétique. L’eau est le miroir de l’homme, le reflet de son cœur, de son esprit et de son âme. Elle permet par le biais de la poésie de rendre compte de l’ambiguïté des sentiments humains et de leur violence. Texte en relation avec le célébre poème de Pierre de marbeuf « Et l'amour et la mer ont l'amer pour partage ».
http://www.lescorriges.com/article-2558--baudelaire__les_fleurs_du_mal__lhomme_et_la_mer.php
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14/04/2014 à 07:11
Bonjour,
J'aimerais avoir des avis sur les choses à améliorer ou à omettre sur le commentaire que je viens de rédiger à partir du poème L'Homme et la Mer de Charles Baudelaire (classe de seconde). smile
J'avoue être un peu perdu et j'ai l'impression d'avoir fait un hors-sujet...M'enfin, voilà le texte:
Introduction
Charles Baudelaire est un poète français du XIX siècle. Nourri par le romantisme et le classicisme, il est à la croisée du mouvement parnassien et du naturalisme. L'auteur a entre autre écrit Les Fleurs du Mal, une oeuvre qu'il a façonné toute sa vie et publié en 1857. Selon les concepts de la tension permanente et du mythe du poète maudit, Baudelaire oscille entre le spleen et l'idéal, à la recherche d'un équilibre qu'il ne parviendra jamais à établir. Le poème numéro XIV de la section Spleen et Idéal nommé L'Homme et la Mer met en analogie l'espèce humaine et la mer, présentés comme "frères ennemis" et agissant en intéraction mutuelle. Nous étudierons donc dans un premier temps comment la morphologie, la disposition et la construction du poème peuvent mettre en avant l'idée qu'il cherche à transmettre. Nous nous pencherons ensuite sur les points communs puis les divergences des deux entités pour ainsi aboutir à une analyse éclairée.
Une construction poétique bipartite
L'Homme et la Mer, reposant sur quatre quatrains en alexandrins semble divisé en deux parties. La première partie débutant du vers un :"Homme libre, toujours tu chériras la mer !" et se terminant au vers huit :"Au bruit de cette plaine indomptable et sauvage." présente en impression la concorde qui unit cette mer immense et insoumise à l'Homme qui a toujours rêvé de la dominer.
Dans la seconde partie, commençant du vers neuf :"Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :" et prenant fin au dernier vers :"O lutteurs éternels, ô frères implacables !" nous fait part du combat perpétuel que livre l'Homme à cette mer dont on ne connaît rien, à cette mer mi-homme, mi-femme, à cette mer dont on peut toucher le sein mais que l'on se doit de combattre comme un homme. Présentant d'abord les deux entités avec des illusions de ressemblance, le poète clos son poème en tirant une conclusion prosaïque mais réfléchie, dénaturant ainsi le mythe qui nous emporte depuis la première strophe.
Points communs et différences : Axes majeurs du poème
Comme nous l'avons montré dans la partie précédente, les deux parties de L'Homme et la Mer s'organisent selon ce qui rapproche et ce qui sépare les deux entités. Nous pouvons ici citer un champ lexical de la tendresse, illustrant la concorde d'apparât qui rapproche ces "frères-ennemis" : v.1 :"Tu chériras", v.2 :"Tu contemples", v.5 :"Tu te plais", v.6 :"Tu l'embrasses", "coeur". De plus, des termes comme "ton miroir" (v.1) et "ton image" (v.5) rappellent la proximité des deux parties, qu'au fond, l'Homme et la mer ne font qu'un, qu'ils ne sont que reflets. La présence de figures de style comme la personnification qui considère presque la mer comme un être humain, prête à combattre et capable de douceur :"Ton coeur" (v.6), "Ténébreux et discrets" (v.9) apporte une touche de bipolarité en affirmant que cet amour n'est jamais stable, qu'il peut disparaître à tout moment.
Pour maintenant faire voir les divergences qui mettent en opposition l'Homme et la mer, nous pouvons lister un champ lexical du combat, de la lutte : v.3 :"Lame", v.8 :"Sauvage", v.12 :"jaloux", v.14 :"Combattez", "sans pitié", "remord", v.15 : "Le carnage", "La mort", v.16 :"Lutteurs". A l'image de l'entente entre l'Homme, imprévisible et la mer intimiste, le combat est vite arrivé. Etant tout deux inconnus et familiers à la fois, chacun cherche à dominer l'autre, à être vainqueur, à assoir sa supériorité.
Conclusion
Le poème L'Homme et la Mer, témoin de la fascination de C.Baudelaire pour le monde maritime à l'image de L'Albatros, nous apporte des informations sur le point de vue de l'auteur qui narre, sensiblement submergé et "petit" face à ce combat de géants qui se déroule devant lui, la relation passionnelle et conflictuelle qui rapproche l'espèce humaine et le monde maritime. Ceci à la manière d'un combat en vérité enfantin où deux bambins cherchent mutuellement à se barrer la route. Enfin, nous pouvons avancer que le poète compare l'espèce humaine à sa propre personne. Tout comme l'auteur, les hommes semblent indécis et leur comportement est contradictoire. Le poème L'Homme et la Mer peut être comparé à l'écrit d'un contemporain de l'auteur : Victor Hugo avec son poème Au Bord de la Mer, présent dans Les Chants du Crépuscule.
Merci d'avance !
http://www.etudes-litteraires.com/forum/topic18433-baudelaire-lhomme-et-la-mer.html
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L’homme et la mer.
par : Pierre Siguret
À lire le poème de Baudelaire, L’Homme et la Mer, nous découvrons que la lutte de l’homme et de la mer est une lutte anthropomorphique. La mer devient un personnage qui se bat contre l’homme exactement sur les mêmes plans physique et psychologique. L’élément naturel est l’égal de l’homme. La mer est devenue une dangereuse et féroce matrone. Ce sont des frères et sœurs ennemis qui sont les miroirs de l’un et de l’autre.
La comparaison dominante du poème est celle de la profondeur : l’idée de gouffre; les profondeurs abyssales de la mer correspondent aux profondeurs insondables de l’esprit humain. La métaphore de la profondeur représente l’imprévisibilité de l’esprit humain et des comportements qu’il dicte à l’homme.
Dans un autre poème inspiré par l’océan à Baudelaire, L’Albatros, on lit que « Le navire glisse (glissant) sur les gouffres amers » et dans L’Homme et la Mer, l’esprit humain « n’est pas un gouffre moins amer… » On se souvient qu’Homère appelait la mer, « l’onde amère » dans ses grandes épopées de L’Iliade et de L’Odyssée. Au delà des rimes intérieures, chacun sait que l’idée d’amertume, qui est liée aussi à la salinité, relève du registre du goût et que, métaphoriquement, elle désigne une situation insupportable, celle du tourment. Beaucoup de cinéphiles se rappelleront du film Amère Victoire de Nicholas Ray (1957).
L’évidence s’impose de cette similitude entre l’homme et la mer. Ce sont des êtres tourmentés : l’homme par ses sentiments, ses passions, ses pensées, ses soucis, ses ambitions et ses échecs; la mer, par l’agitation de ses flots, le souffle des vents, les attractions labiles de la lune et du soleil et l’affrontement avec les côtes et les rivages.
Le secret de ce poème, c’est l’enchaînement rigoureux, la fixation de l’émotion, le blocage irréversible de la lutte et de son issue. Il s’établit également un parallélisme psychologique qui prépare l’affrontement final car les adversaires seront à armes égales en dépit de l’apparente disproportion de ceux-ci.
Les deux paradigmes se conjuguent pour former une étrange alliance : la liberté et la profondeur s’unissent dans cet amalgame poétique et philosophique. En effet, le champ d’application de la liberté est immense et imprévisible.
Baudelaire va donc dépeindre chacun des adversaires séparément. L’homme, tout d’abord, mais ce n’est pas n’importe quel homme. C’est l’homme libre, l’homme qui ne dépend de personne, ni de lui, ni des autres hommes, encore moins de Dieu. Cet homme, évoqué par le poète, c’est un marin, l’un de ces grands explorateurs du passé, particulièrement des XVe et XVIe siècles : Christophe Colomb, Magellan, Verrazano, Vasco de Gama, tous ceux qui se sont lancés sur les mers dans l’ignorance des circuits maritimes planétaires. Ils ne connaissaient que les points cardinaux, les étoiles de la Voie Lactée, l’art de la navigation, la conception des navires, un sens inné de l’aventure et le courage face aux risques encourus, l’éloignement et l’isolement, l’inconnu, des maladies terrifiantes comme le scorbut, les monstres marins, les tempêtes et ouragans, les maelstroms si bien évoqués par Edgar Allan Poe que Baudelaire traduisit.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer! » Ce vers initial du poème lance derechef l’ambiance de l’évocation baudelairienne. Ces hommes, ces grands navigateurs, chérissent la mer, son horizon mouvant, ses vagues interminables, ses reflets incertains, ses créatures multiples et variées, les brumes et les vents qui s’engouffrent dans les voiles et les gréements, les feux de Saint-Elme et même les vents dévastateurs des ouragans. Ils aiment la mer comme d’autres aiment la montagne, avec ses pentes, ses sentiers et ses ravins, ses glaciers et ses moraines. Même si ces grands navigateurs du passé aiment la mer, ils savent aussi qu’elle est leur ennemie implacable dans tous ces dangers que nous venons d’évoquer.
Pourtant, c’est dans la mer que l’homme se regarde, il se retrouve dans cet immense miroir liquide. La mer lui renvoie son image. Il y contemple même son âme : se sont les grands mythes platonicien et aristotélicien qui resurgissent dans l’union immatérielle de l’âme et du corps. Seule l’âme humaine est liquide comme la mer et l’homme discerne les aspects les plus secrets de son âme dans le déferlement infini des lames.
C’est dans cette mer « toujours recommencée » comme le dira plus tard Paul Valéry dans son Cimetière Marin que se retrouve le poète. Et c’est alors que nous sommes confrontés à la conclusion abrupte de la première strophe : « Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. » L’esprit de l’homme est comparé à un gouffre. Évoquons pour illustrer cette métaphore du gouffre, l’angoisse de l’auteur dramatique américain Tennessee Williams confronté aux mécanismes mystérieux de la pensée humaine. Le gouffre amer de l’esprit humain correspond à l’inquiétude de l’écrivain américain lorsqu’il réalise que le processus de la pensée est un mystère terrifiant et complexe dans la vie d’un homme. Ce gouffre amer de l’esprit correspond encore à l’angoisse et aux tourments que le poète éprouve lorsqu’il veut sonder sa vision du monde. Angoisse et tourments que ressentira puissamment Mallarmé confronté à la page blanche qui précède le poème. Ainsi pour filer la métaphore, comme la mer et tout ce qu’elle implique et tout ce qu’elle renferme, l’esprit humain est un gouffre insondable non seulement par sa profondeur et l’impossibilité de découvrir tout ce que l’on peut y trouver mais encore par la diversité de ce qu’il peut produire, pensées créatrices et dévastatrices, émotions et passions dévorantes, réactions inexplicables face à l’autre et au monde, illustrées de façon redoutable par les analyses du docteur Freud.
Mais voici la seconde strophe et la complaisance de l’homme le pousse à contempler son image comme Narcisse qui s’est fait le prisonnier de la sienne. Qu’est-ce que l’image de l’homme? Ce peut être la représentation complaisante de sa projection dans le miroir de la mer. Ce peut être aussi la mer elle-même mais aussi l’image que la mer lui renvoie de lui-même. C’est donc une image de l’homme, un autre lui-même complet dans sa projection dans ce miroir de la mer. Pour mieux connaître cette image de lui-même, pour la mieux posséder, l’homme décide d’embrasser cette image dans ses propres bras avec l’espoir de réussir un vaste contact physique mais aussi visuel dans ce miroir explicite de la mer.
C’est ensuite un nouvel instrument de connaissance que met en œuvre Baudelaire, le cœur. Mais il ne s’agit pas de l’organe interne, la viscère qui fait circuler le flux sanguin dans le corps. Le poète a toujours la maîtrise de l’univers symbolique. Il s’agit donc d’un cœur intellectuel et passionnel. Un cœur qui ne bat pas mais qui perçoit sa propre rumeur, un sens nouveau et supérieur qui s’ajoute aux autres. Ce sens exceptionnel et symbolique peut ressentir et exprimer le libre jeu des passions qui l’animent. Mais la plainte indomptable et sauvage de la mer le détourne avec force de ses préoccupations dominantes.
Après avoir analysé poétiquement les caractères de l’homme, son âme, son esprit, son image, son cœur qui constituent une revue complète de l’être humain, le poète réunit dans une ultime comparaison les deux adversaires. L’homme comme la mer est ténébreux et discret ; ils dérobent leurs secrets grâce à l’obscurité favorable et par une prédisposition à la modestie, à la discrétion et à la pudeur.
Baudelaire effectue alors un retour vers le mystère des profondeurs. On ne connaît rien des abîmes de l’homme, ce sur quoi nous insistions précédemment : les tourments produits par l’imprévisibilité de l’homme. Quant à la mer, on ne connaît rien non plus de ses richesses intimes. Sont-ce là les myriades de poissons, de cétacés, de crustacés, de mollusques et de coquillages nacrés qui peuplent les eaux des océans, les immenses fonds marins parsemés d’épaves et de trésors inconnus, les civilisations mystérieuses ensevelies sous les eaux jalouses des océans tel l’Atlantide du philosophe grec Platon. La raison d’être de tous ces secrets communs à l’homme et à la mer, c’est une jalousie barbare pour les protéger de tous les intrus, les violeurs patentés et les découvreurs avides et réprouvés.
Malgré cette immense et surprenante ressemblance entre l’homme et la mer, semblable comme un frère et une sœur, l’homme et la mer se combattent depuis des temps immémoriaux, depuis des siècles innombrables, durée qui échappe à l’histoire enregistrée et donc à la mémoire humaine.
Nous atteignons alors cet affrontement ultime. Après avoir évoqué les deux adversaires, après les avoir assimilés dans les mêmes passions, les voici désormais confrontés dans un dernier combat sans quartier, sans pitié ni remord dit le poète. Ainsi que le combat d’Hercule et du géant Antée, le combat ne peut se terminer que sur la défaite complète de l’un des adversaires. Mais, comme la lutte se prolonge, cela démontre à l’envi que nul d’entre les deux adversaires ne peut finalement triompher.
Quelle est la raison d’être de cette lutte infinie et interminable? Baudelaire nous explique que l’homme et la mer aiment le carnage et la mort. Il suffit de penser à ces milliers de naufrages, le plus fameux étant celui du Titanic, à ces milliers de combats maritimes, l’Invincible Armada, Trafalgar, à ces milliers de noyés et de marins disparus en mer, « routiers et capitaines », comme dit José-Maria de Hérédia dans son poème célèbre : Les Conquérants, pour une estimation de ce combat implacable. Inversement, on sait que plusieurs pays ont élevé des digues pour gagner des terres sur la mer comme les polders néerlandais.
Cette lutte interminable est enfin conclue par cette invocation qui scelle les doubles destins des combattants, ceux qui sont des « lutteurs éternels », le combat infini dans le temps des « frères implacables ». La masculinisation de la mer confirme la férocité et la durée de la lutte, et surtout l’égalité des ennemis.
Pourtant, ce sera à la fin des temps que cessera cet immonde combat car le livre biblique de la Révélation annonce que « la mer n’est plus » ou comme le dit la Bible de Jérusalem : « et, de mer, il n’y en a plus » (Révélation 21:1). Avec la disparition définitive de l’un des combattants, la lutte infinie sera achevée à jamais. Baudelaire ne pénètre pas dans cet univers symbolique de la Révélation et sa conclusion demeure, la lutte pour lui jamais ne cessera.
Car c’est une lutte étrange que celle de l’homme et d’un élément naturel, la lutte est inégale : comment l’homme, ce roseau pensant, comme dit Pascal pourrait-il affronter cette immense masse liquide des océans? Dans l’imaginaire humain, et encore faut-il se tourner vers l’univers religieux pour rencontrer un triomphe de l’homme sur l’élément marin. C’est la victoire du Christ sur la mer déchaînée, contée dans l’Évangile :
Or, un jour, il monta en barque avec ses disciples et leur dit : « Passons sur l’autre rive du lac ». Et ils gagnèrent le large. Tandis qu’ils naviguaient, il s’endormit. Une bourrasque s’abattit alors sur le lac; ils faisaient eau et se trouvaient en danger. S’étant donc approchés, ils le réveillèrent en disant : « Maître, maître, nous périssons! » Et lui, s’étant réveillé, menaça le vent et le tumulte des flots. Ils s’apaisèrent et le calme se fit. Puis il leur dit : « Où est votre foi? » Ils furent saisis de crainte et d’admiration, et ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc celui-là, qu’il commande, même aux vents et aux flots, et qu’ils lui obéissent? »
(Évangile de Luc 8 :22-25; traduction de la Bible de Jérusalem).
Le Christ triomphe des éléments naturels alors que Jonas, le prophète sera lancé au milieu des éléments déchainés pour se retrouver dans le ventre d’une baleine. Le thème banal de la lutte de l’homme contre la mer trouve dans cette conjonction de Baudelaire et de l’Évangile une issue improbable.
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